La tradition vertueuse d’offrande de nourriture aux pratiquants
En Thaïlande la tradition de faire des offrandes de nourriture aux moines reste très présente. À plusieurs occasions j’ai eu la chance de les accompagner à travers les petites routes de village dans les campagnes. Je restais en fin de file, les aidant à porter les offrandes pour les ramener au temple. Voici comment cela se passe :
Un des membres du groupe porte un petit gong, qu’il fait sonner régulièrement dans le rythme de la marche pour prévenir les habitants de notre passage. Les habitants sont prêts et ne tardent pas à sortir de chez eux avec de la nourriture, le plus souvent du riz gluant (tradition du Nord), mais aussi des plats préparés, des fruits, des briques de lait ou de boissons, des pâtisseries industrielles ou faites maison dans des feuille de bananier et parfois aussi de l’argent sous forme de billet. Le riz et autre nourriture sont souvent déposés tels quel dans une sorte de récipient rond (je ne sais plus comment ça s’appelle), porté en bandoulière par les moines. Hommes, femmes, jeunes ou vieux accompagnés des enfants sortent pour venir s’agenouiller au bord de la route devant leur maison. Ils remettent respectueusement leurs offrandes aux moines avant de joindre les mains. Les moines récitent une courte bénédiction en pali avant de repartir sans autres formalités. Comment exprimer le regard, la foi et la vénération de cette population thaï ?
On partait vers 6 heures du matin puis une fois de retour, la nourriture était partagée pour être consommée avant midi. Comme je pratiquais la méditation au temple, je recevais de la part des moines une partie des offrandes que je mangeais dans mon coin.
Cette tradition date du temps du Bouddha, où les gens, lorsqu’ils étaient prêts et ressentaient un appel intérieur, renonçaient à leurs activités pour se consacrer à la pratique de la pleine conscience. Ils suivaient le Sage-Éveillé et partaient en itinérance à travers l’Inde. Ils ne se préoccupaient pas de trouver ou de cuisiner leur nourriture mais se contentaient des offrandes qu’ils recevaient de la part des locaux. Parfois ils ne recevaient rien ou qu’un peu de riz. D’autres fois lorsqu’ils étaient invités par des rois, ils recevaient des offrandes somptueuses. Mais peu leur importait, en toutes circonstance ils pratiquaient l’équanimité* et le non-attachement. Ils se nourrissaient une fois par jour seulement, avant midi.
*L’équanimité est une disposition intérieure de détachement et de sérénité à l’égard de toute sensation, évocation agréable ou désagréable. Cela concerne les manifestations physiques ou mentales
Voici un soutra célèbre relatant le dialogue entre le docteur Jivaka (Shivago) et le Bouddha.
Jivaka Soutta
Ainsi ai-je entendu. À un moment donné, le Bouddha séjournait près de Rājagaha dans le bosquet de manguiers de Jīvaka Komārabhacca. Puis Jīvaka s’approcha du Bouddha, s’inclina, s’assit d’un côté et dit au Bouddha :
« Maître, j’ai entendu ceci :
‘ Ils massacrent des créatures vivantes spécialement pour l’ascète Gautama*. L’ascète Gautama mange sciemment de la viande préparée exprès pour lui : c’est une situation dont il est responsable. »
Je pense que ceux qui disent cela répètent ce que le Bouddha a dit, ne le dénaturent-ils pas avec un mensonge ? Leur explication est-elle conforme à l’enseignement ? Y a-t-il des motifs légitimes de réprimande et de critique ? »
« Jīvaka, ceux qui disent cela ne répètent pas ce que j’ai dit. Ils le déforment avec ce qui est faux. Dans trois cas, je dis que la viande ne peut pas être consommée : elle est vue, entendue ou suspectée. Ce sont trois cas dans lesquels la viande ne peut pas être consommée. Dans trois cas, je dis que la viande peut être consommée : elle n’est ni vue, ni entendue, ni soupçonnée. Ce sont trois cas dans lesquels la viande peut être consommée.
Prenons le cas de moines-ascètes-mendiants vivant soutenu par une ville ou un village. Ils méditent en répandant un cœur plein d’amour dans une direction, dans la seconde, dans la troisième et dans la quatrième. De la même manière en haut, en bas, partout, tout autour, ils répandent un cœur plein d’amour dans le monde entier – abondant, expansif, sans limites, libre d’inimitié et de mauvaise volonté. Un chef de famille ou leur enfant s’approche et les invite pour le repas du lendemain. Les ascètes-mendiants acceptent s’ils le veulent. Une fois la nuit passée, ils s’habillent le matin, prennent leur bol et leur robe et s’approchent de la maison de ce maître de maison, où ils s’asseyent sur le siège étendu. Ce chef de famille ou leur enfant leur sert une délicieuse aumône.
Il ne leur vient jamais à l’esprit : « C’est tellement bon que ce chef de famille me serve une délicieuse aumône ! J’espère qu’ils me serviront avec une telle aumône délicieuse dans le futur ! » Ils ne pensent pas cela. Ils mangent cette aumône non asservie, sans attachement, voyant l’inconvénient et comprenant la fuite.
Que pensez-vous, Jīvaka ? À ce moment-là, ce moine-mendiant a-t-il l’intention de se blesser, de blesser les autres ou de blesser les deux ? » « Non maître. »
« Ne mangent-ils pas de la nourriture irréprochable à ce moment-là ? » « Oui Maître. Maître, j’ai entendu dire que Brahma demeure amoureux. Maintenant, j’ai vu le Bouddha de mes propres yeux, et c’est le Bouddha qui demeure vraiment amoureux ! »
« Toute avidité, haine ou illusion qui pourrait donner lieu à de la mauvaise volonté a été abandonnée par le Réalisé*, coupée à la racine, faite comme une souche de palmier, effacée et incapable de se produire à l’avenir. Si c’est ce à quoi vous faisiez référence, je le reconnais. »
» C’est exactement ce à quoi je faisais référence. »
« Jīvaka, quiconque abat une créature vivante spécialement pour le Réalisé ou un disciple du Réalisé crée beaucoup de mauvais karma pour cinq raisons. Quand ils disent : « Va chercher cette créature vivante », c’est la première raison. Lorsque cette créature vivante éprouve de la douleur et de la tristesse alors qu’elle est conduite par un collier, c’est la deuxième raison. Quand ils disent : « Allez, massacrez cette créature vivante », c’est la troisième raison. Lorsque cette créature vivante éprouve de la douleur et de la tristesse pendant qu’elle est abattue, c’est la quatrième raison. Quand ils fournissent le Réalisé ou un disciple du Réalisé avec une nourriture inadmissible, c’est la cinquième raison. Quiconque abat une créature vivante spécialement pour le Réalisé ou le disciple du Réalisé crée beaucoup de mauvais karma pour ces cinq raisons.
[…]
» Lorsqu’il eut parlé, Jīvaka Komārabhacca parla ainsi au Seigneur* :
« C’est incroyable, Maître, c’est merveilleux vénéré Maître ! Les moines mangent en effet de la nourriture permise. Les moines mangent en effet de la nourriture irréprochable. Excellent Maître ! Excellent ! C’est comme si, on pouvait redresser ce qui avait été bouleversé, ou révéler ce qui était couvert, ou indiquer le chemin à quelqu’un qui s’était égaré, ou comme de pouvoir amener une lampe à huile dans les ténèbres afin que ceux qui ont la vision puissent voir les formes matérielles, même si le Dhamma est clairement indiqué dans de nombreux enseignements par le Seigneur.
Je me dirige vers le Sage Éveillé*, vers l’Enseignement de l’Éveil et vers l’Assemblée Vertueuse des Moines comme vers un refuge. À partir de ce jour, que le Bouddha se souvienne de moi comme d’un disciple laïc qui est allé chercher refuge pour la vie.
Fin du Jivaka soutta
*Les termes : Sage Eveillé, le Seigneur, L’ascète Gautama, Maître, le Réalisé, sont tous des épithètes du Bouddha
(traduction de l’anglais et compilation des sources Roman Léonardi Vandevelde)
OM NAMO SHIVAGO